Son premier album est sorti entre les deux confinements au cœur d’une année particulièrement troublante et instable. On a pris le temps de déconstruire 2020 et ses faux rythmes avec Hervé, chanteur et producteur parisien fan de Bashung et DJ Mehdi, qui a pris la bonne habitude de danser sur sa mélancolie.
Ton album est sorti entre les deux périodes de confinement. J’imagine que c’est déstabilisant de devoir défendre un premier disque dans de telles circonstances. C’était assez intense, ouais ! Pour moi, le disque devait sortir à tout prix. Instinctivement, je me suis dit qu’il fallait foncer. L’album était prêt, il fallait l’annoncer et sortir de la musique coûte que coûte. J’aurais très bien pu flipper et me dire : « Putain, c’est la merde : je sors mon premier disque, la météo n’est pas bonne… En plus, je n’ai pas de buzz sur TikTok ! »
Plus sérieusement, je me suis rendu compte que la musique était peut-être encore plus importante en ce moment. J’ai eu la chance de pas mal jouer à la rentrée de septembre. On faisait deux, ou trois dates par semaine. Quand la situation sanitaire s’est dégradée à nouveau, j’espérais que ça tienne jusqu’à l’Olympia. Je devais y jouer mi-novembre mais on a été contraints de reporter. Ce n’est que partie remise. Je suis heureux que le disque puisse vivre à côté. C’est assez ouf de se rendre qu’il marche mieux que jamais en ce moment, malgré la situation.
Les concerts sont un élément particulièrement important dans le développement et la promotion d’un jeune artiste. Comment expliques-tu que l’album parvienne à trouver son public dans un moment aussi compliqué ? Je ne m’attendais pas à découvrir autant d’articles, à la sortie de l’album. Bizarrement, je pense que le premier confinement a eu un effet vertueux sur le disque. Les gens ont peut-être pris le temps de d’écouter et de rentrer dans le délire et dans l’univers. On a sorti des vidéos qui ont bien fonctionné, notamment le clip de Si bien du mal. A la base, je suis un gars de la scène. C’est mon terrain de jeu ! Les gens m’ont d’abord découvert dans des festivals ou grâce aux premières partie d’Eddy de Pretto. Je ne suis pas trop un mec des réseaux sociaux. Pour moi, tout est venu de la scène donc c’est d’autant plus frustrant de ne pas pouvoir continuer à suivre ce premier chemin qui m’a fait connaître. Avec les annulations, je prends une grosse tarte, je ne vais pas te mentir. Mais j’ai toujours été d’un naturel optimiste. Quand il m’arrive une merde, je me persuade qu’il y aura mieux derrière. Surtout, je me stimule et je me dis : « Ok, qu’est-ce qu’on fait maintenant !? Un clip à l’iphone ? Une session live ? » Il y a plein de choses à inventer.Avant de chanter sous le nom d’Hervé, j’avais un duo qui s’appelait Postaal. Je m’impliquais énormément dans l’image du groupe. Que ce soit pour les pochettes, l’image ou même les clips… Tout était home made ! Je suis beaucoup plus habitué à ces conditions de travail d’ailleurs ; quand tout est un peu à l’arrache.Si t’es habitué à faire des énormes concerts dans les Zéniths, à tourner des clips avec 100 personnes qui courent partout et à avoir du lait végétal dans ton café-crème en coulisses… je comprends que tu sois totalement perturbé en ce moment ! Sur mon mac, j’ai Windows 7. Je bosse chez moi avec un logiciel de son que j’ai craqué sur Internet… Ma configuration de base est finalement assez compatible avec un confinement et je ne suis pas prêt d’en changer.
Depuis ton premier morceau solo en 2017, tu es resté fidèle à cette idée d’une chanson française assez mélancolique portée par des productions électroniques plus enjouées. Peu d’artistes jouent avec ces formes aujourd’hui. Tu ne te sentais pas déjà un peu seul et confiné dès le début du projet Hervé ?
C’est sûr que je ne suis pas dans la drill, ni dans une forme de variété française classique ! Parfois, je me dis que je suis un peu à contre-courant alors que j’ai un héritage qui combine plein de références différentes comme le rap et la chanson française justement. De toutes façons, le rap c’est de la chanson française pour moi. Il n’y a pas de différence. Mais c’est vrai que je me demande parfois où je me situe. Si la réponse est « nulle part », ça me rassure en fait ! On n’est pas beaucoup sur le disque. Je suis assez solitaire dans ma façon d’écrire et de produire. Généralement, tout commence seul dans ma piaule. J’ai décidé de jouer le jeu de l’autonomie à fond en matière de création, mais j’ai la chance de pouvoir compter sur Julien Delfaud qui mixe et Alex Gopher qui masterise. J’ai toujours rêvé de travailler avec eux, ils sont hyper importants dans le projet.
Comment les premières chansons d’Hervé sont-elles nées ? Tu as commencé à composer dès la fin de Postaal ?
C’est un truc que je ne dis pas souvent, mais certains morceaux existaient même au début de Postaal. Avant même qu’on ne monte en Angleterre et que l’on soit managés là-bas. Les deux projets sont nés en même temps mais comme j’étais très impliqué dans Postaal, il était hors de question que je fasse les deux choses en même temps. Basculer dans un projet en solo, c’était un peu comme un accélérateur de particules sur le plan personnel. Un moyen de me confronter à moi-même et d’être au plus proche de ce que je ressens. C’est pour cette raison que j’ai appelé l’album Hyper. Je ne voulais aucun filtre. C’est aussi pour ça que je ne calcule pas ce que je fais sur scène. Je danse n’importe comment, je lâche prise, je vide le sac. C’est pareil pour les clips. Je n’ai pas envie d’être dans le calcul et c’est la seule façon de vivre cette aventure sainement selon moi.
On ressent particulièrement cet état d’esprit sur Bel Air, le morceau final l’album, avec cette dernière minute euphorisante et ces battements de cœur qui s’accélèrent. Comme dans un dernier sprint ou pour le final d’un concert.
Ouais, j’avais envie de jouer au maximum sur l’idée d’une naissance. Bel Air, c’est le nom de la clinique dans laquelle je suis né. J’ai grandi à Fontenay, en banlieue parisienne. Quand je suis arrivé à Paname vers 19 piges, je ne connaissais personne. Tout allait très vite : aussi bien la ville que les rencontres et les découvertes qu’elle offrait. C’est aussi le moment où je décide vraiment faire de la musique sans me retourner vers un autre destin ou une autre voie. J’avais envie d’exprimer cette idée et cette fusion dans le morceau sur un tempo rapide à 160 BPM ! Je voulais rendre hommage à la drum and bass et à l’Angleterre.
L’Angleterre, sa musique, le foot et la culture Lad sont des références qui semblent t’obséder. C’est un pays dans lequel tu as vécu ?
En France, ma famille est originaire de Bretagne et c’est vrai que les deux cultures sont assez proches. J’espère pouvoir retourner en Angleterre bientôt. J’y ai passé beaucoup de temps car on était managés sur place avec Postaal. Mon binôme était anglais donc on trainait avec une grosse bande de potes. C’était une époque assez folle. On a beaucoup joué à Londres, Manchester, Liverpool, Brighton… A Fontenay, quand j’étais ado, il n’y avait vraiment rien à faire la nuit en dehors du bar de la gare et du PMU. Mes premières vraies soirées, je les découvre d’abord en arrivant à Paname avec la génération Ed Banger. C’est là que je prends une grosse claque avec l’électro : les concerts de Sebastian, Justice, Kavinsky. Après, il y a eu un courant Soudcloud que je n’ai pas du tout kiffé. C’est à ce moment que je me suis enfermé et que j’ai commencé à faire du son à fond, avant de retrouver l’esprit festif de malade en Angleterre quelques années plus tard. Là-bas, il y a une connexion beaucoup plus évidente entre le football et la musique. Ca m’a permis de créer des ponts. Toute la scène de Manchester, la Haçienda, les Happy Mondays… C’est un truc que j’ai découvert il y a quatre ans ! Je me suis retrouvé dans d’immenses teufs à écouter des sons tordus sans comprendre où j’étais. Je n’avais jamais entendu ça et cette période m’a énormément influencé pour écrire des morceaux comme Bel Air, Va Piano et même Le premier jour du reste de ma nuit. En écrivant cette chanson, je ne voyais pas du tout New York ou Brooklyn. Dans ma tête, j’étais à Manchester avec les Happy Mondays.
L’influence de l’Angleterre sur la chanson française semble s’être progressivement désagrégée ces quinze dernières années…
Ouais, le dernier à avoir ramené un peu d’Angleterre dans son délire c’est peut-être Orelsan sur son dernier album. Dans le spleen des textes comme dans les prods qui me rappelaient le grime. Beaucoup plus tôt, un mec comme DJ Mehdi a été super important dans cette transmission. Je crois que c’est le mec qui m’a fait découvrir le breakbeat. Sans que je m’en rende compte en plus ! J’étais petit, j’écoutais les disques du 113 en pensant que ce n’était que du rap français, mais il y a avait plein d’influences derrière.
La première personne qui m’a ouvert les portes d’un studio, c’est Secundo : un rappeur qui était proche du label IV My people de Kool Shen. Le grand frère d’un pote avait l’habitude de rapper dans le studio qu’il fréquentait à Puteaux. On y est allé un soir. Il y avait Sofiane, Niro, Mac Tyer… Que des anciens. Le truc était blindé ! Je devais avoir 17 ans et mes premières prods cachées dans mes clefs USB. Je n’osais pas trop parler mais j’ai fait écouter quelques sons avec du clavier, déjà. Ils se sont un peu moqués de moi mais c’était une ambiance bon enfant ! On n’a jamais rien sorti de concret mais j’ai fait une prod pour un mec de ma ville, j’ai rencontré des ingénieurs du son… Ca m’a mis le pied à l’étrier et j’ai compris que j’étais dans mon monde. Ce soir-là, j’ai peut-être compris que je voulais faire de la musique sérieusement.
L’autre grande référence du disque, c’est évidemment Alain Bashung. Son phrasé caractéristique et ses placements de voix semblent t’accompagner sur le disque. Pourquoi avoir choisi de reprendre La peur des mots ?
C’est un morceau qu’il a enregistré au début des années 90. Je crois qu’il ne restait pas beaucoup d’argent pour finir le disque à l’époque, mais Bashung et son équipe avaient réussi à choper une semaine au Sun Studio, à Memphis. Les mecs voulaient faire de la country en fait. Quelques chansons sont sorti de cette session studio dont Osez Joséphine et une petite de démo de ce titre : La peur des mots. J’adore le texte et les renversements d’accords qui l’accompagnent. Alain Bashung est sans doute le mec que j’ai le plus écouté, donc je crois que je ne me suis pas posé la question de lui ressembler ou pas. Quand je me suis mis à chanter, ma voix sortait comme ça. J’assume à fond cette influence ! Je trouve que ça tue. Quand tu es enfant et que tu écoutes ce genre de musique, tu ne peux rentrer que dans les tubes. Le reste ressemble à un océan un peu opaque. C’est en grandissant que j’ai découvert la profondeur du répertoire de Bashung. Il y a plein d’artistes qui me fascinent et que je réécoute différemment avec les années comme Higelin, Renaud ou même Dire Straits. Mais c’est vrai que si tu écoutes Miossec à 5 ans, t’es pas bien !Kate Bush, c’est aussi une influence qui ne me quitte pas. Quand je pense à elle, je repense à tous les artistes qui ont un univers complet. Aussi bien au niveau de la composition, du son et des visuels. Généralement, ce sont ces artistes qui m’impressionnent le plus.
La gestion de ton image a beaucoup évolué depuis Postaal. Je me souviens des photos de presse où on ne voyait pas vos visages, dans une esthétique très abstraite. Aujourd’hui, tu n’hésites pas à prendre la lumière et tu sembles beaucoup plus ouvert, en photo comme en interview. Ca a été compliqué pour toi de t’exposer autant ?
La question de montrer mon visage sur la pochette s’est posée par exemple. Je viens d’une école très électronique. Mes héros, c’étaient les Daft. A la base, je suis un gars de studio. Arriver à parler de ma musique, faire des photos : tout cela est le fruit d’une petite métamorphose. J’ai été happé par cette urgence de sortir des chansons en solo. Quand tu fais ce geste-là, ça ne sert à rien de le faire à moitié. Autant y aller à fond. Je me suis dit que j’allais m’appeler Hervé, tout simple, juste mon prénom. Et que j’allais livrer ma musique seul sur scène. Je voulais tout donner, sans me créer un perso particulier, être le plus sincère possible. Quitte à jouer avec l’impudeur qui va avec l’exercice. Pour le premier clip que j’ai tourné, j’étais un peu perdu. Je ne savais pas faire un playback, il fallait que je danse… C’était tout nouveau et assez impressionnant pour moi. Je n’avais pas forcément de pédigrée, pas de nom de famille, pas de coupe de cheveux. Mais j’étais sûr que je voulais foncer.
interview Azzedine Falls
photography Manuel Obadia-Wills
styling Mathilde Camps
grooming Laure Dansou • Walter Schupfer