Tout a commencé il y a deux ans. Elsa Pharaon, la directrice de casting de La tête haute, organisait un casting sauvage dans mon lycée. Elle m’a repéré quand j’étais dehors en train de fumer devant le lycée. Elle est revenue le lendemain et a demandé si elle pouvait me faire passer un essai.
A qui s’est-elle adressé?
A ma CPE. Qui est venue m’en parler.
La dame que t’as remerciée dans ton discours des Cesar, madame Camard Je crois ?
Oui c’est ça. Ça me paraissait normal parce qu’elle voulait vraiment que je sois pris sur le film, elle m’a aidé. Au premier essai, dans ma salle de classe, on m’a tendu une feuille avec un bout de dialogue du film. C’était la scène ou je demande une clope à l’éducateur. J’avais jamais fait de théâtre, jamais rien joué… Enfin, sauf tout seul devant ma glace, pour délirer. Ou parfois pour déconner avec des potes. Quand j’étais petit, j’adorais faire rire ma famille, je m’imaginais plus tard devenir un comique, faire des trucs marrants à la Michael Youn. En fait j’adore jouer. Après ce premier essai, ils m’ont rappelé et là, j’ai enchainé. Quand je suis arrivé à Châtelet au bureau de prod quelques semaines plus tard, il y avait 27 mecs dans la salle d’attente, tous entre 17 et 20 ans. Là je me suis dit que c’était vraiment mort. On m’a rappelé, encore et encore. J’ai du faire 40 essais avant d’être pris.
Ca représentait quel enjeu pour toi d’être pris ?
Plus je faisais d’essais, plus l’envie montait. Mais je ne me rendais pas compte de tout ce qui allait suivre. Quand j’ai appris que j’étais pris, je trouvais ça cool, j’avais envie de sauter en l’air. Parce que c’était un truc nouveau. Mais c’est tout. Je ne savais pas que ça allait être un gros film, très exposé. Je n’imaginais pas du tout que cette expérience puisse changer ma vie.
A quel moment tu en as pris la mesure ?
Je connaissais pas vraiment le cinéma. Mais quand j’ai dit à ma famille que j’allais jouer avec Catherine Deneuve, que je ne connaissais que de nom, j’ai bien vu qu’ils trouvaient ça énorme.
T’as beaucoup bossé avant le tournage ?
On m’a attribué un coach pour m’aider à apprendre le texte. Il m’aidait surtout à assimiler les dialogues, à apprendre à écouter un partenaire quand il joue. Jusque là, j’avais toujours eu des problèmes de concentration. J’étais en échec scolaire. Je n’arrivais pas m’intéresser aux cours, à écouter les profs. Et là pour la première fois peut-être, j’ai pris du plaisir à apprendre. Je trouvais un truc qui m’épanouissait.
Tu as eu le trac à moment donné ?
Le premier jour, quand j’ai découvert à quoi ressemblait un plateau de cinéma, j’ai un peu stressé. Mais Emmanuelle (Bercot) me disait de rester comme j’étais. Moi je donnais, mais je ne savais pas vraiment comment j’étais, si ça allait. Il y a eu des moments ou je n’étais pas super, je crois. On faisait beaucoup de prises. Emmanuelle se tirait parfois les cheveux. C’était pas facile de garder tout le temps en moi la rage du personnage.
“Le truc le plus compliqué en fait, c’était la scène où je violentais Diane, parce que je déteste les mecs violents avec les filles.”
C’était dur de monter dans la colère, la violence ?
Non, c’est pas dur de crier, de s’énerver. Mais c’est dur de rester juste en le faisant. En fait, je craignais surtout les scènes d’amour. En fait il n’y en a qu’une. On voit mon derrière, ça m’intimidait quand même. Le truc le plus compliqué en fait, c’était la scène où je violentais Diane, parce que je déteste les mecs violents avec les filles.
Maintenant tu as envie de continuer à jouer ?
Oui vraiment j’aimerais beaucoup. Je suis quelqu’un de très nerveux. Là, en jouant un rôle, j’ai découvert un truc qui m’apaise. Ce tournage a été pour moi comme un stage de yoga (rires). Je me suis abandonné, ça m’a fait beaucoup de bien.
Tu as parlé du métier avec Benoit Magimel ou Sara Forestier, qui comme toi ont tous les deux débuté ados ?
Oui, bien sûr. J’ai passé beaucoup de temps avec Benoit. C’était comme un oncle ou un grand frère. Il m’a toujours donné de bons conseils. Sara m’a dit des choses très gentilles sur mon travail à la fin du tournage, ça m’a touché. Je me suis bien entendu aussi avec Catherine Deneuve. Le premier jour, elle est venue me parler et m’a demandé quel âge j’avais. Je lui ai répondu et naturellement, sans réfléchir, je lui ai demandé le sien. Ça l’a fait marrer et du coup l’intimidation est tombée (rires).
Est-ce qu’avant de faire du cinéma, tu aimais bien certains acteurs ?
Oui, j’avais déjà vu La haine et j’aime beaucoup Vincent Cassel. J’adore Belmondo aussi, même si c’est pas ma génération. Mon oncle me montrait beaucoup de films policiers. Mon préféré, c’était Le professionnel.
Tu regardais aussi des films américains ?
Un peu, mais je suis pas un gros fan des films de super héros, du cinéma à effets spéciaux. Même si ça fait rêver, ça me touche moins que des films plus réalistes. Je préfère des films comme La tête haute ou Mon roi. Je m’intéresse plutôt au cinéma qui parle de ce qu’on vit.
Vois-tu beaucoup de films maintenant ?
Oui, j’essaie. J’ai reçu le coffret des César et j’ai regardé pas mal de DVD. J’ai aimé À trois on y va, Les cow-boys, Fatima, Connasse, qui est vraiment très marrant. J’ai beaucoup aimé Trois souvenirs de ma jeunesse, dont j’ai adoré l’acteur principal, Quentin Dolmaire. J’ai vraiment envie de me cultiver en cinéma maintenant.
Tu fais quoi de tes journées en ce moment ?
La musique, c’est ma vie. J’en écoute beaucoup. C’est nouveau, mais en ce moment j’essaie de découvrir le jazz. Ça me plait bien. L’autre jour, j’étais dans un Uber et il y avait de la musique, une petite mélodie très jolie. C’était du Chopin, j’ai trouvé ça beau, donc je me suis mis à en écouter. J’adore découvrir des trucs que je ne connais pas. Mais ma base, c’est le rap. J’ai beaucoup aimé NTM et IAM. Quand j’avais dix/douze ans, j’achetais chaque année les compiles Planète rap. Et puis la funk. Depuis que je suis petit, j’écoute Earth wind and fire, Kool and the gang, des trucs très dansants. J’ai découvert la chanson française plus tard. J’aime bien Laurent Voulzy par exemple.
L’exposition médiatique, aprÈs la sortie du film, ca t’a paru agréable ou saoulant ?
Pas saoulant du tout. J’aime bien parler, même à des gens que je rencontre pour la première fois. Donc les interviews, c’est plutôt agréable. Même si j’ai déjà eu des mauvaises surprises. Une fois, j’ai dit un truc a un journaliste, qui pour moi était hors interview et il a mis dans son journal. C’était pas un truc très grave, mais ça m’a appris à surveiller un peu ce que je dis. Les photos, c’est cool aussi. Mais bon, je préfère jouer.
Tu parlais du plaisir que tu avais enfant à faire rire ta famille. Tu aimerais tourner des films comiques ?
Oui, j’aimerais beaucoup qu’on m’en propose. Comme ça, on verrait que je ne suis pas du tout Malony (le nom de son personnage dans La tête haute, ndlr). J’ai pas envie d’être catalogué dans les rôles de racailles et de jeunes délinquants. J’aimerais bien faire un film d’action aussi. J’aime beaucoup Taken par exemple. J’adore Liam Neeson. Il est également très bon dans Le territoire des loups. Dans les acteurs américains, j’aime aussi beaucoup Di Caprio. Son discours aux oscars était très émouvant. C’était beau qu’il l’ait enfin, après tous les grands films qu’il a fait. Je l’ai vu récemment tout jeune dans un de ses premiers films, Gilbert Grape, où il joue un handicapé. Il est génial.
Il faudrait que tu t’entraines, non, pour faire des films d’action ?
Haha. C’est vrai que j’ai pas encore trop le profil d’un acteur de films d’action mais ça peut se prendre. Je fais de la natation quand même, et des pompes tous les jours.
Tu t’intéresses au combat politique de ces jeunes de la Nuit debout qui ont à peu près ton âge et qui occupent la place de la République ?
Oui, ça m’intéresse. Je suis ça sur les réseaux sociaux. Mais je préfère ne pas me prononcer sur ces questions. Parce que je ne connais pas bien et que je ne veux pas dire des âneries. Je pense que c’est bien en tout cas que des gens osent dirent qu’ils ne sont pas contents et que le gouvernement doit les écouter.
As-tu déjà voté ?
Pas encore non. Je viens d’avoir vingt ans. J’aurais déjà pu le faire, mais je l’ai pas fait. Mais aux prochaines présidentielles, je pense que je vais voter pour la première fois. J’ai compris que c’était vraiment important et je commence à m’intéresser un peu à la politique.
Tu te sens chez toi à Paris ?
Je me sens mieux à Paris qu’à Stains en tout cas, la ville où j’ai grandi et où je vis encore. J’y suis attaché mais la vie y est parfois dure. Quand j’étais ado, je venais rarement à Paris. J’allais au cinéma à Saint-Denis. Maintenant, j’aimerais bien m’installer à Paris et ne retourner à Stains que pour voir ma famille.
Tu peux raconter ce qui s’est passé dans ta tęte quand t’es arrivé à Cannes pour monter les marches de la soirée d’ouverture, puis neuf mois plus tard quand tu t’es retrouvé sur la scène des César pour récupérer ton trophée ?
Comment dire… (Rires) j avais jamais ressenti ça. Le soir des César, au moment de monter sur scène, j’ai ressenti une décharge d’électricité surnaturelle partout dans mon corps, j’avais envie de me tordre, de tomber dans les pommes. Je pensais être incapable de prendre la parole. C’est un moment fou. J’avais écrit quelques phrases, mais j’ai improvisé. Je pense que même si un jour je souffre d’Alzheimer, je n’oublierai pas ce festival de Cannes et cette soirée des Cesar.
Qu’est ce qui les rend inoubliables ?
C’est magnifique d’être associé à un film comme La tête haute. Plein de jeunes ont senti que ca parlait d’eux, que ca les concernait…
Il y en a qui s’adressent à toi ?
Oui, j’ai reçu pas mal de messages. Des éducateurs sont venus me parler. On a montré à plusieurs reprises le film dans des centres de détention pour mineurs. J’ai parlé avec des jeunes qui sortaient de prison. J’ai même reçu un message de l’Assemblée nationale, de Marie-Georges Buffet.
Quand tu penses aux années qui viennent, de quoi as tu vraiment envie ?
Je dirais plutôt de quoi j’ai vraiment peur… J’ai vraiment peur de ne pas avoir d’autres tournages. Parce que j’aime vraiment ça. J’ai peur de retourner à ma vie d’avant même si je sais que si le faut j’en suis capable. Mais bon je me dis aussi que ça pourrait marcher. En tout cas, tout ce qui est bon à prendre, il faut que je le prenne maintenant : des cours de français, des cours d’anglais, des cours de cinéma aussi, parce que ça me passionne maintenant de comprendre comment sont faits les films. Et puis j adore présenter La tęte haute à l’étranger. Je suis allé en Allemagne, en Écosse, en Italie… Et là, en juin, je vais à Tokyo. C’est la première fois que je vais en Asie. Je suis super excité.
Photography Matt Lambert
Interview Jean-Marc Lalanne
Stylist Simon Pylyser
Creative direction Nataniel N.M.Robert
Grooming Josefin Gligic
Photographer’s assistant Constant Fazilleau