A 25 ans seulement, Stéphane Bak donne le sentiment d’avoir déjà bien roulé sa bosse. Après une enfance turbulente passée dans les quartiers de Seine- Saint-Denis, il devient le plus jeune comique de France à 13 ans et enchaîne avec des chroniques au Grand Journal de Canal+, mais aussi à la radio. Un pont en or vers la comédie grand public lui est tendu mais il se détache complètement de la carrière d’humoriste en 2013, à 17 ans. Il se met alors en tête de réaliser un autre rêve, jouer dans les films d’auteur qu’il aime regarder depuis l’enfance. Mais pour cela il doit repartir de zéro. Humble et patient, il se voit proposer pendant plusieurs années quelques rôles mineurs dans de grands films avant se voir offrir des rôles plus amples. 2022 représente une consécration de sa carrière d’acteur, puisqu’après l’avoir vu dans Twist à Bamako de Robert Guédiguian en tout début d’année, Stéphane Bak a gravis deux fois les marches du Festival de Cannes, pour Novembre de Cédric Jimenez et pour Un Petit Frère de Léonor Serraille.
All clothes by Loewe Paula’s Ibiza
Interview Bruno Deruisseau
Photography Marcin Kemsky • Maanifest Agency
Creative director Nataniel N.M.Robert
Styling Simon Pylyser
Grooming Angloma
Quelle était jusque-là ta relation au Festival de Cannes ?
J’y étais avec le Grand Journal de Canal+ dès 2012. J’étais tout jeune, j’avais seulement quinze ans. Par la suite, j’ai monté une première fois les marches en 2016 pour un petit rôle dans Elle de Paul Verhoeven. Mais là c’était la première fois pour des rôles d’ampleur, c’est le grand bain enfin! C’est toujours un plaisir de pouvoir célébrer ces films et d’en parler dans un contexte d’exposition internationale.
Comment es-tu arrivé sur Novembre ? J’ai simplement passé des auditions. Le challenge de jouer un jeune flic m’intéressait. J’avais aussi envie de rencontrer Cédric parce qu’il incarne un cinéma assez unique dans le paysage français : des films de genre, nerveux, divertissant. C’est un auteur de cinéma populaire comme il y en a peu en France. On forme un trio avec Sofian Khammes et Quentin Faure. Le casting est pour moi un bel ensemble, il représente ce qui se passe, ce qui s’est passé et ce qui se passera dans le cinéma français.
De quelle façon as-tu été touché par les attentats de 2015 ? J’étais encore au Blanc-Mesnil, là où j’ai grandi et je m’apprétais à aller sur Paris. Pas loin de quartiers ciblés par les attentats. Je venais d’avoir dix-neuf ans et bien-sûr ça m’a marqué à vie. C’était particulier de reconstituer ce moment à travers le tournage. J’ai notamment rencontré des flics qui avaient participé à la traque d’Abaaoud. C’est un souvenir unique pour eux.
La polémique autour de la récupération par l’extrême droite du précédent film de Jimenez, Bac Nord, t’a-t-elle affecté ? Honnêtement quand je suis allé le voir au cinéma, je n’ai pas pensé à ça. Ce n’est pas à moi de dire si le film est stigmatisant ou pas. Je n’y ai pas pris part. J’observe aussi qu’au moment où le film est sorti, on était en période pré-électorale. C’était une aubaine pour les personnalités d’extrême droite qui ont instrumentalisé le film. Novembre sortira dans un tout autre contexte et traite d’un tout autre sujet, celui des attentats. J’espère qu’il ne sera pas récupéré à des visées politiques.
Et Un Petit frère de Léonor Serraille, qu’est-ce qui t’a plu dans le projet ? Mon agent m’a appelé en me disant qu’il s’agissait exactement du type de projet qui allait me plaire. Et en effet, le scénario était l’un des plus beaux que j’ai jamais lu. J’avais vu Jeune femme et j’avais adoré. Je suis extrêmement fier de ce film. Il renferme tout ce que j’aime dans le cinéma français : la délicatesse et la subtilité mêlée à une vraie intelligence dans l’écriture des personnages et dans la mise en scène.
Tu n’as que 25 ans mais on pourrait presque te considérer comme un ancien dans le métier puisque tu as plus de dix ans de carrière dans le showbusiness. As-tu le sentiment d’avoir déjà eu plusieurs vies ?
(rires) Oui, j’ai commencé à 13 ans en montant sur scène en faisant du stand up, puis j’ai fait de la télévision au Grand Journal sur Canal+, de la radio sur Europe 1 et Virgin Radio. Mon cerveau est rempli de souvenirs. Mais il n’y a pas de nostalgie et l’excitation de la découverte est toujours là. J’ai le sensation d’avoir vécu plusieurs vies, après je suis pas non plus Bernard Tapie.
Il y a aussi des bifurcations dans ton parcours. La suite logique d’une carrière d’humoriste sur scène puis dans les médias, ça aurait été la comédie grand public, pas le cinéma d’auteur. Mais après avoir joué dans deux grosses comédies (Les Profs et Les Gamins), tu as opéré un virage à 180 degrés. Comment as-tu pris cette décision ? Je savais depuis le plus jeune âge que je voulais faire les films que moi j’aimais au cinéma. Ado, j’étais déjà un peu cinéphile. À 13 ans, j’ai été très impressionné par Un prophète de Jacques Audiard. Quand tu viens de banlieue, ce type de film résonne particulièrement en toi. Ça me donnait aussi de l’ espoir pour avoir des rôles dans des films plus tard, je me disais que si le cinéma s’intéressait à la banlieue, je pourrais intéresser le cinéma. Mais c’est vrai qu’après ma carrière dans les médias, il a fallu faire des choix. Et j’ai fait le choix de manger moins bien pour prendre le temps de satisfaire mon exigence de cinéma. J’ai eu la chance et la persévérance nécessaires pour y arriver mais ça a pris du temps. Les fruits de mon travail, c’est-à-dire avoir aujourd’hui deux films à Cannes, j’en ai planté les graines il y a des années.
Comment t’y es-tu pris ? Il a d’abord fallu accepter que je gagnerais moins bien ma vie, parce que les gros budgets ne sont pas dans le cinéma d’auteur. J’ai refusé des films qui m’auraient rapporté beaucoup d’argent. Il a fallu ensuite accepter de tout recommencer à zéro, étudier au cours Florent, passer par des rôles dans des films plus modestes, comme par exemple dans Les Héritiers de Marie-Castille Mention-Schaar, La Miséricorde de la jungle de Joël Karekezi, Tokyo Shaking d’Olivier Payon ou Roads de Sebastian Schipper, voire de rôles très secondaires dans les films de grands auteurs, comme dans Elle de Paul Verhoeven, L’Adieu à la Nuit d’André Téchiné ou même The French Dispatch de Wes Anderson. J’avais une petite voix qui me disait qu’il fallait que j’en passe par là pour un jour arriver à faire les films et avoir les rôles que j’ambitionnais de décrocher par passion pour le cinéma. Par la suite, il y a Twist à Bamako de Robert Guédiguian qui a représenté une étape importante.
Ton parcours donne le sentiment d’un pouvoir d’auto-détermination, une discipline et d’une volonté très forte et pourtant tu étais un élève très turbulent. Tu t’es même fait virer de ton lycée je crois. C’est un paradoxe pour toi ? C’est parce que je m’ennuyais profondément que j’étais indiscipliné à l’école. Mais lorsque je suis passionné, je suis au contraire très discipliné. Dès l’enfance, je savais qui je voulais être et ce que je voulais faire de ma vie. J’étais déjà animé par des passions très fortes et je vivais l’école comme une perte d’un temps qui m’était par ailleurs précieux pour me consacrer à mes passions justement. J’avais une passion des mots donc j’aimais les cours de français, mais pendant le reste des cours, je rêvais ou je perturbais la classe. J’étais insupportable en vrai, je faisais le pitre constamment, au point où ce n’était plus possible de faire cours. Pour moi, les cours étaient devenus une scène où je m’exerçais à faire rire. Mais dans mon souvenir, il y avait aussi une vraie tendresse de la part de mes professeurs. Déjà, je faisais rire certains. Et puis je crois qu’ils voyaient quelque chose en moi qui ne cadrait pas dans une classe, mais qui témoignait d’une curiosité et de certaines capacités. Ils ont essayé de me garder jusqu’au bout mais ils ont fini par me virer et je les comprends en un sens.
Et l’école à la maison, ça se passait comment ? J’ai fini ma quatrième au CNED, puis ma troisième. Mais c’était encore plus dur de m’intéresser. Je suis devenu insomniaque, j’écrivais mes textes la nuit et je commençais à plus du tout avoir la même vie que mes potes, à fréquenter principalement des adultes. Et puis après j’ai été aspiré dans le showbiz comme tu dis. J’ai jamais passé mon bac, sans le regretter.
Comment es-tu devenu le plus jeune comique de France ? Je n’avais pas réussi à rentrer au Jamel Comedy Club parce que j’étais trop jeune, du coup j’ai tenté ma chance auprès d’Emmanuel Smadja, qui était directeur d’un café-théâtre. Il m’a pris à l’essai avec mon premier sketch, Je suis Stéphane Bak. J’ai pas mal tourné avec ce sketch et il m’a ouvert les portes du Festival du rire de Montreux, de l’Olympia, du Grand Rex et de l’Accor Arena.
En 2013 et alors que tu t’apprêtes à jouer ton premier spectacle de stand-up, tu abandonnes ta carrière d’humoriste. Que s’est-il passé ? Mes désirs d’adolescent n’étaient pas mes désirs de jeune adulte. A 17 ans, j’avais envie de changer de milieu. Le stand-up est un milieu assez violent mine de rien et je savais que je ne voulais pas y faire toute ma carrière. Comme on vit dans un pays où les mentalités sont assez étriquées et où il est plus difficile qu’aux Etats-Unis par exemple, de passer du stand-up au cinéma, je me suis dit qu’il valait mieux opérer une bifurcation très tôt, avant que mon image soit définitivement fixée dans la peau d’un stand-upeur. Et honnêtement, je vivais plus, je ne sortais jamais du milieu du stand-up et j’avais besoin de respirer, d’avoir d’autres expériences.
C’est drôle parce que le clip de The Girl is Mine du groupe 99 Souls, où tu tiens le rôle principal, tu joues justement un mec qui avance à contre-courant. C’est une belle image. Je n’aurais pas pensé que tu me parlerais de ce clip. C’est vrai que c’est un peu une métaphore de ma trajectoire. Mais dans ma tête c’est plutôt une suite logique, bien qu’elle soit faite de hasard et de décisions fortes. Par exemple, quand je rencontre Grégory Weill, mon agent de cinéma, alors que je suis à Cannes pour le Grand Journal, je n’imagine pas une seconde qu’on va y aller ensemble dix ans plus tard pour deux films dans lesquels je joue.
La mode occupe-t-elle une place importante dans ta vie ? Je sais que tu es notamment égérie pour la marque Loewe. Comment as-tu rencontré cette marque ? C’est moi qui ai fait le premier pas vers eux. J’adore la marque et donc je les avais contacté via mon agent au moment de la projection de L’Adieu à la Nuit à la Berlinale. Ils ont accepté qu’on travaille ensemble à ce moment-là. A partir de là, on a jamais cessé de correspondre. J’ai rencontré Jonathan Anderson, le directeur créatif de Loewe, et Michaël Amzalag et Mathias Augustyniak, alias M/M, qui réalise leur campagne publicitaire. Je m’amuse bien avec eux. La mode et le cinéma sont pour moi indissociables. On a fait plusieurs t-shirts ensemble. Pour Cannes, j’ai demandé à Jonathan des pièces uniques pour les tapis rouges de mes deux films. C’est un luxe dans tous les sens du terme et j’en suis conscient. Loewe a une vraie sensibilité artistique, qui s’exprime notamment à travers les acteurs et les actrices qu’ils habillent : Josh O’Connor, Zendaya, Anthony Hopkins, Tilda Swinton, et en dehors du cinéma la footballeuse américaine Megan Rapinoe. Ils ont bon goût, à tous les niveaux.
Il y a d’autres marques que tu suis ? J’aime aussi beaucoup Acne Studios. Misbhv ou Kapital. Mais je fréquente assez peu les défilés, à part les défilés Loewe, parce que c’est la famille.
En musique, tu écoutes quoi ? Je vais surprendre personne en disant que j’adore Mr. Morale & the Big Steppers, le nouvel album de Kendrick Lamar. Mon admiration remonte à longtemps. Je le suis depuis le début. Je l’avais rencontré au Grand Journal pour sa première télévision française il y a une dizaine d’années. J’ai même fait une photo avec lui. Il a changé la face du hip-hop. Et ses thématiques sont fortes, elles sont différentes de ce qu’on entend dans le reste du rap. Et puis en tant qu’artiste renoi, sa musique me touche aussi particulièrement. En termes de timing, la sortie de cet album est parfaite pour moi. Parce que mine de rien ses albums m’ont accompagné dans les étapes importantes de ma vie : le générique de ma chronique au Grand Journal c’était du Kendrick, quand je tournais La Miséricorde de la jungle en Ouganda, j’étais à fond dans Damn. Et son nouvel album m’a ccompagné à Cannes pour la sortie des deux films dans lesquels je joue. Et je l’ai vu à Coachella au mois d’avril. J’étais au premier rang! Et sinon j’écoute aussi le dernier album de Future, I never liked you.
Tu es aussi fan du PSG. Un club qu’il n’est pas facile de supporter…
Je le suis depuis mon enfance, avec mes potes de quartier. C’était l’époque de Pauleta et de la lutte pour le maintien. Aujourd’hui on se bat pour la Ligue des champions mais c’est paradoxalement plus dur de les supporter. C’est un crève-cœur de les voir jouer cette saison quand on voit l’effectif. On se dit toujours que la saison suivante va être la bonne mais ça fait trop de déception. Donc c’est dur d’être fan du PSG mais on ne lâche pas le PSG pour autant. Au moins, Kylian Mbappé reste. Un vrai titi parisien qui reste au club ça fait plaisir !
Set designer Michał Zomer • Daughter of Lama
Postproduction Paweł Milewski • I Like Photo
Co Production • I Like Photo
1st photographer assistant Théophile Parat
2nd photographer assistant Léna Mezlef
Studio Le Petit Oiseau Va Sortir