

Interview Bruno Deruisseau
Photographie Nicolas Valois
Styling Mathilde Camps
Grooming Rimi Ura • Walter Schupfer
De cancre à jeune espoir du cinéma d’auteur français, le parcours de Yoann Zimmer est hors normes. Des quartiers populaires de Namur où il traînait avec ses potes aux plateaux de cinéma des frères Dardenne, de Rebecca Zlotowski ou de François Ozon, ce belge de 28 ans au regard bleu acier et aux traits farouches connaît aujourd’hui une carrière ascensionnelle. Après deux petits rôles chez les frangins du cinéma belge (Deux jours une nuit et La Fille inconnue), il tient son premier rôle principal dans Crache Coeur de Julia Kowalski, film présenté à l’ACID cannois en 2015. Il enchaîne avec des rôles secondaires dans Les Fauves de Vincent Mariette, Rêves de jeunesse d’Alain Raoust et Les Sauvages, l’excellente série de Zlotoswki sur la France post-attentat.

Avant de le retrouver en janvier aux côtés de Vincent Lacoste et Vicky Krieps dans De nos frères blessés d’Hélier Cisterne puis de Gérard Depardieu, Catherine Frot et Jean-Pierre Daroussin Daroussin dans Des Hommes de Lucas Belvaux (film où il a d’ailleurs la lourde tâche d’incarner un version jeune du personnage joué par Depardieu), nous l’avions vu il y a quelques mois dans l’un des plus beaux films de l’année, Eté 85 de François Ozon. Il y incarnait un jeune homosexuel qui noyait son mal de vivre dans l’alcool. À l’instar de ce rôle, il y a dans plusieurs personnages incarnés par Yoann Zimmer une dimension torturée, une rage larvée, un désespoir de vivre auquel il semble avoir lui-même échappé grâce à sa découverte du métier de comédien.
Comment es-tu arrivé au cinéma ?
Ça a mis un peu de temps. Je n’y avais jamais pensé avant ma majorité. J’ai grandi à Namur, dans une famille avec deux grands frères et une petite sœur. J’ai terminé ma scolarité obligatoire puis j’ai fait des petits boulots. J’avais envie de mettre de l’argent de côté pour prendre une année sabbatique et partir en voyage en Amérique du Sud. C’est seulement ensuite que j’ai eu ma première vraie expérience de jeu, dans un stage de théâtre. As-tu grandi dans un environnement axé sur la culture ? Non pas vraiment, à part à travers ma sœur. Elle a douze ans de plus que moi, soit quarante ans aujourd’hui. Elle joue dans une troupe de théâtre belge forain. Voir ses spectacles et suivre sa troupe ont été ma première rencontre avec le milieu du spectacle. Un des premiers contacts vraiment fort que j’ai eu, c’est lorsque j’ai été barman à 17 ans pour sa troupe, un été, alors qu’ils se produisaient sur l’île des chapiteaux pendant le Festival d’Avignon. C’était des gens cool, punk, plus âgés. Pour le cas social que j’étais adolescent, leur ouverture d’esprit a été une petite révélation. Pourtant ce n’était pas du tout mon univers et je ne me suis pas tout de suite dit que je voulais en faire mon métier.
C’était quoi ton univers ?
A l’époque, je jouais au foot et je traînais avec mes potes. Mais comme à 16 ans je n’avais pas percé, j’ai fait une croix sur le sport. Donc je passais tout mon temps à glander avec mes amis. Je filais un mauvais coton à l’époque. J’avais de gros problèmes de discipline. Ca venait d’un besoin de s’affirmer je pense, et j’aimerais faire rire les autres. Je pense aussi que j’étais hyper-actif. Je me suis fait viré d’une école pour vol et heureusement j’ai pu me ré-inscrire dans un autre établissement, grâce à ma mère qui était prof. J’avais beaucoup du mal à me projeter dans l’avenir. C’est pour cette raison que tu es parti en voyage ? Oui complètement. Je suis parti seul avec mon sac à dos à 18 ans à peine : deux mois et demi en Argentine, Bolivie et Chili. Je voulais aussi apprendre l’espagnol. J’ai travaillé dans une ferme puis dans une auberge de jeunesse. Ça m’a fait beaucoup de bien. L’attrait pour ailleurs est un désir très important pour moi, ça a même à voir avec mon amour pour le métier d’acteur, qui est un métier où tu voyages beaucoup entre les différents lieux de tournage. En fait, je m’ennuyais à Namur. Je voulais quitter cet endroit.
En rentrant de voyage tu as fait quoi ?
Je me suis inscrit à un stage d’été en théâtre. Je me suis dit : pourquoi pas ? Mais je ne m’étais pas du tout clairement formulé le désir d’être acteur. Ce sont les intervenants du stage qui m’ont conseillé de me présenter à Esact (NDLR Ecole Supérieure d’Acteur du Conservatoire de Liège). C’était la première fois que je m’éclatais vraiment dans une activité. J’ai cravaché tout le mois d’Août pour préparer le concours et regarder des films d’auteurs que je louais à la bibliothèque. J’en regardais deux-trois par jour. J’ai notamment découvert les films de James Gray qui est un des mes réalisateurs favoris, tout comme les films de Jacques Audiard, Philippe Garrel ou de Nicolas Winding Refn et j’ai revu les films du Nouvel Hollywood que je connaissais déjà. J’ai été pris dès le premier tour du concours. La formation durait quatre ans. Je me suis retrouvé avec des gens souvent plus âgés que moi et surtout beaucoup plus expérimentés. La formation était très professionnalisante. Le problème est que je me sentais assez en décalage. Je n’avais pas la maturité nécessaire pour persévérer. J’ai redoublé ma première année puis j’ai arrêté au bout de deux ans. Heureusement en première année, j’ai passé le casting d’un court-métrage, Tristesse Animal Sauvage et j’ai décroché le rôle principal. Je me suis vraiment épanoui dans le travail sur le plateau, avec les techniciens et l’esprit de troupe. En seconde année, j’ai passé le casting pour un petit rôle dans Deux jours, un nuit des frères Dardenne et j’ai été pris. A partir de là, la tentation de quitter l’école pour me consacrer pleinement au tournage a été trop forte. J’ai déménagé à Bruxelles et je me suis pris un agent. Au même moment, j’ai passé les essais pour Crache Coeur qui est par la suite devenu mon premier rôle principal dans un long-métrage. Mais en arrivant à Bruxelles, j’ai quand même enchaîné les petits boulots un moment. Je bossais chez Carrefour et je descendais souvent à Paris pour passer des castings.
Quelles sont tes expériences les plus marquantes ? Tourner avec les Dardenne a été une super école. Ils ont une exigence très élevée, une précision de jeu assez dingue. J’ai dû beaucoup répéter et faire énormément de prises, presque cinquante. Voir Marion Cotillard jouer était aussi fascinant, c’est une bête d’actrice. J’ai appris en observant la façon dont elle garde sa concentration entre les prises. Crache cœur aussi, parce que c’est mon premier grand rôle et mon premier tournage à l’étranger. Tu as souvent été casté pour des rôles de bad boy avec une dimension destructrice.
C’est ce que tu dégages selon toi ? Je joue avec ça. Suivant le personnage, je ne vais pas me présenter avec la même énergie, la même apparence ou les mêmes vêtements à un casting. J’ai jamais eu de propositions de comédie donc je ne dois pas donner envie de rire. Et pourtant j’adore me marrer. Je suis grand, sec, j’ai les traits du visage assez marqués, un peu anguleux. On m’a souvent dit que j’avais un air de bad boy ténébreux. C’est vrai que j’ai souvent joué des mecs torturés, de petits écorchés. Ils ont une violence cachée en eux, alors que je suis plutôt un garçon doux dans la vie. Aujourd’hui, j’ai envie d’aller vers de la comédie.
Te sens-tu appartenir une famille ou un groupe d’acteurs ? Finnegan Oldfield est un de mes meilleurs amis. J’allais dormir chez lui quand je venais passer des essais à Paris. C’est amusant parce que je pense que les directeurs de casting projètent un peu la même chose sur nos deux profils d’acteur. On se retrouve souvent à être en concurrence sur les mêmes films. Sinon en termes de famille d’acteurs, je me sens par exemple assez proche de ce qui transparaissait à travers Les Sauvages : une façon d’amener d’autres têtes et d’autres origines dans le cinéma français, plus de diversité en fait. J’ai grandi dans un milieu où il y avait une mixité très forte entre des noirs, des arabes et des blancs et je trouve ça cool quand je peux retrouver ça au cinéma.
En parlant de mixité, est-ce que tu es particulièrement attentif à la façon dont les films mettent en scène le rapport entre les hommes et les femmes ?
Oui, grave. On ne peut pas ne pas être touché par ça parce que ça concerne tout le monde, nos copines, nos copains, nos sœurs. J’y réfléchis quand je lis un scénario, le plus souvent avec mon agent qui m’apporte son regard de femme sur la façon dont sont écrits les personnages féminins. Ce qui est malheureux, c’est que les personnages féminins sont encore trop stéréotypés dans ce que je lis. C’est à nous acteurs de dire non ou d’essayer de changer ça. Je suis moi-même en train d’écrire un court-métrage et j’y pense aussi quand j’écris.
Tu peux nous en dire un peu plus sur ce projet ?
Oui, il est financé. Je suis censé le tourner en décembre mais avec le covid je ne sais pas si ce sera encore décalé. Finnegan Oldfield devait jouer dedans, mais il faut voir si avec le changement de date son emploi du temps le lui permet. Figurent aussi au casting Tobbias Nuytten et Alassane Diong. J’ai écrit ce film il y a quatre ans. L’histoire est influencée par mes amis d’adolescences à Namur. Il y a un personnage de jeune qui fait une grosse connerie et va en prison et un autre qui choisit d’être flic. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont les destins s’écrivent, en fonction des choix et des non-choix. C’est une histoire de destin croisé et ça se passe dans un kebab ouvert toute la nuit. Le film est construit comme Amours chiennes d’Alejandro González Iñárritu.Comment ça se fait que toi tu as eu le choix par rapport aux potes dont tu parles ? Je crois que la différence, c’est déjà que mes parents ont fait en sorte que je finisse ma scolarité. On ne s’en rend pas compte mais ça fait une grande différence. Ensuite j’ai eu le choix de faire les études que je voulais et la possibilité de voir autre chose que mon milieu, à travers le voyage, à travers la rencontre avec la troupe de ma grande sœur.
Quel est ton rapport à la mode ?
J’aime bien la mode. J’aime porter des bagues ou des boucles d’oreilles. Je suis coquet. Je peux porter une chemise simple ou un complet Lacoste ou Nike. J’adore chiner des trucs aussi, j’achète presque pas de neuf, à part peut-être pour une très belle pièce.
Si tu n’avais pas été acteur, tu aurais fait quoi ?
J’aurais été cuisinier je pense. Quand j’ai déménagé à Bruxelles, j’avais même commencé un BEP en cours du soir. Mais je l’ai aussi arrêté après la première année parce que j’avais été trop absent. (rire)Tu écoutes quoi comme musique ? Du Hip-Hop surtout. J’en écoute depuis que je suis tout petit avec mes potes et mes grands-frères. Vers 16 ans, j’ai découvert le film sur The Doors d’Oliver Stone et j’ai grave kiffé ce type de rock. En Hip-Hop, j’écoute JUL pour avoir l’impression d’être en vacances d’été, Slowthai… en fait j’aime grave la trap US : XXXtentacion, Young Thug. Ce que j’aime chez eux, c’est qu’il y a une douleur dans leur musique. Ils ne sont pas dans la frime, la win totale et la mégalomanie comme les autres rappeurs. Même s’ils ont du succès, ils parlent de leur déprime. Il y a un aspect mélancolique qui me plait. Et au début du reconfinement, j’écoutais de la musique congolaise, genre Papa Wemba. Ça redonne le sourire en ces temps tourmentés.