Cet été, il dansera en Corée, puis, dès septembre, repartira pour une nouvelle saison à l’Opéra National de Paris. Il y a encore quelques saisons, personne ne connaissait le nom de Guillaume Diop. Or, en remplaçant ses camarades étoiles sur des ballets cruciaux comme Roméo et Juliette ou La Bayadère, il a tapé dans l’œil du public, aussitôt charmé par son élégante gestuelle. C’est aussi l’un des rares artistes noirs et métis de l’Opéra. Ce fait ayant été suffisamment rabâché, on s’attardera ici d’avantage sur l’œil clair, la silhouette gracile et la vitalité expressive
de Guillaume Diop. Il n’a que 22 ans mais sait déjà où il veut aller… sans pour autant être dévoré par l’ambition. L’important est de danser !
Vous venez d’être promu Coryphée, heureux… et soulagé ?
Oui ! Ce n’est pas facile de sortir de la classe de quadrille hommes car nous sommes beaucoup de jeunes garçons. Cette année, il y avait trois postes pour une vingtaine de prétendants ! Voir plus de garçons rentrer à l’école est une bonne nouvelle. Mais cela pèse d’autant plus pour les membres du quadrille : on est très jeunes, on danse peu, donc on est à l’affut… Être promu a été un énorme soulagement. Peu après, s’est monté Don Quichotte, pour lequel je devais seulement danser une soirée. Francesco Mura s’étant blessé, j’ai également pu me produire lors d’une seconde date, avec Léonore Baulac. Nous étions heureux de nous retrouver, car nous nous étions déjà très bien entendus quand j’avais remplacé Germain Louvet sur Roméo & Juliette, quelques mois plus tôt… Mais Don Quichotte est un ballet intense.
Intense, par rapport au rôle de Basilio, le héros masculin de Don Quichotte ?
Oui, que j’ai adoré. Pourtant, c’est un personnage dans lequel je ne me reconnaissais pas forcément au début parce qu’il est très macho. Finalement, j’ai pris beaucoup de plaisir à le danser et à l’interpréter à travers mon propre prisme, l’envisageant plus jeune, plus taquin. Je me suis beaucoup amusé en interprétant Basilio, plus encore peut-être que Roméo qui me ressemblait davantage, car il est plus jeune, plus mélancolique…
Récemment, vous avez aussi dansé dans La Bayadère !
Je ne m’y attendais pas du tout. François Alu s’étant blessé, je l’ai remplacé. J’ai dansé avec Dorothée Gilbert et c’était impressionnant. Elle a été nommée danseuse étoile bien avant mes débuts ! Dans La Bayadère, on joue beaucoup. Le rôle de Solor est très exigeant, compliqué à travailler, du point de vue de la mise en scène comme des interactions avec des partenaires. Solor ne peut entièrement exprimer ses ressentis, et il faut pourtant que les spectateurs les perçoivent ! Franchement, ce rôle me faisait peur. Au final, ça a été magique. Car la technique sert toujours la narration.
Cela fait 14 ans que vous dansez. Comment gérez votre relation au corps, votre outil de travail ?
On se voit tous les jours dans le miroir, en collant et en body. On se voit grandir, grossir, se muscler… J’ai mis un peu de temps à accepter que mon corps ne soit pas totalement parfait. Et à mon âge, j’ai encore du mal à appréhender la récupération physique. Me masser, mettre de la glace, savoir reconnaître les courbatures, les blessures… Mon corps va être mon outil de travail pendant vingt ans, il faut en prendre soin.
La danse et vous, ça a commencé comment ?
C’était dans un centre de danse de quartier, à Paris, Porte Montmartre. Un jour, je suis allé voir ma sœur à la fin de son cours. J’ai aussitôt dit à ma mère que je voulais faire la même chose ! Alors que j’étais un enfant très timide, j’avais trouvé un moyen de parler. Lorsque j’avais 6 ans,notre centre a fait un spectacle à la Cigale et j’ai réalisé à quel point j’aimais être sur scène. Quelques années plus tard, ma professeure a jugé bon que je me mette au classique et m’a inscrit au Conservatoire du 18ème. Si, au début, l’enseignement me semblait trop strict et que les collants me dérangeaient, j’ai rapidement compris l’immense intérêt de pouvoir m’exprimer au sein d’un cadre rigoureux.
“Ce qui m’intéresse le plus, c’est lorsque la danse est au service des émotions, de propos viscéraux, politiques, qu’on peut avoir du mal à formuler avec des mots.”
Puis vous êtes rentré à l’École de danse de l’Opéra. Une expérience parfois difficile, lorsqu’on est encore un enfant…
Ce qui a été dur, c’est l’internat, mais je suis vite revenu dormir chez moi, car je suis très proche de ma mère et de ma sœur. D’abord, j’ai été heureux car je dansais avec beaucoup d’insouciance. Puis, dès la 4ème division, j’étais entouré d’élèves qui voulaient absolument rentrer à l’Opéra alors que j’envisageais encore d’être médecin, ou avocat… Je n’étais pas assez ambitieux. On me disait d’être un lion alors que j’étais une gazelle. Pourtant, moi, ça m’allait très bien, d’être une gazelle ! L’école appelait ma mère pour lui dire que je ne travaillais pas suffisamment… Ce n’était pas évident pour elle car elle ne connaissait pas du tout ce milieu, et ne savait pas comment me conseiller. Je me suis posé beaucoup de questions. La 2ème division s’est passée à merveille, mais au spectacle de fin d’année, je n’ai quasiment pas dansé. Face à ma frustration, mes professeurs m’ont conseillé de partirsix semaines faire un stage dans la compagnie d’Alvin Ailey, à New York.
Ce qui a dû être très formateur ?
C’était incroyable ! Je me suis retrouvé entouré de danseurs avec des corps, des tailles, des allures différentes. Il n’y avait pas de compétition, chacun était appréciée à sa juste valeur. Ça m’a fait beaucoup de bien. Je dansais du classique, du Horton, du Graham, de la danse africaine… Je souhaitais rester, mais lorsque j’ai appris que j’étais accepté en 1ère division, j’ai réalisé que le classique me manquerait trop si je ne tentais pas cette aventure. En revenant, je n’étais plus le même, mes propositions avaient changé. Ce qui m’intéresse le plus, c’est lorsque la danse est au service des émotions, de propos viscéraux, politiques, qu’on peut avoir du mal à formuler avec des mots. Je m’intéresse de près à la capoeira, au voguing…
Par ailleurs, la danse classique et le contemporain sont complémentaires…
Absolument ! Même le langage Noureev, hyper académique, on trouve des échos contemporains, faits de contrastes et de twists. Façonner son corps comme on l’apprend en classique permet de jouer d’autant plus avec. Concilier le classique et le moderne offre une grande liberté, non seulement physique, mais aussi mentale.
Quelles sont vos figures tutélaires ?
Je n’ai jamais eu de modèles, même si j’admire des personnalités comme Yannick Le Brun, Alvin Aley… et des danseuses, surtout, comme Nikisha Fogo, qui officie au San Francisco Ballet. Le travail du haut de leurs corps est fascinant car très expressif, cela m’inspire beaucoup.
Quels sont les rôles qui vous attirent le plus ?
Ceux qui sont expressifs, bruts, comme chez Pina Bausch. Les émotions ne sont pas enveloppées dans un beau costume, une belle chorégraphie ou de belles lignes. Ces rôles m’appellent parce que j’aimerais voir si je suis capable de me mettre à nu, sans me cacher derrière une interprétation ou derrière l’apparat. Lorsqu’elle a incarné l’Élue dans Le Sacre du Printemps de Pina Bausch, une danseuse ne jouera pas Odette/Odile de la même manière…
Et ceux que vous rêveriez de danser demain si l’occasion se présentait ?
Le Boléro de Maurice Béjart. Le dépassement de soi, la performance pure. Jusqu’où peut-on mener son corps ? Ou Siegfried dans le Lac des Cygnes. J’ai très envie d’interpréter un prince, au cœur des ténèbres. La version de Noureev confère énormément de profondeur et de texture à ce personnage.
Lorsque vous ne dansez pas…
J’écoute de la musique, je lis, je vais au cinéma. J’ai une fascination pour les divas noires américaines, de Billie Holiday à Aretha Franklin. J’écoute du gospel, de la soul, du R’n’B. J’aime voyager, découvrir de nouveaux pays, d’autres manières de vivre… Parmi les livres qui m’ont récemment marqué, Love Me Tender et Nom de Constance Debré. En fait, quel que soit le medium qu’elles ont choisi, les fortes personnalités me fascinent !