Le trio australien MOVEMENT est la révélation soul électronica de l’hiver. A la croisée de James Blake et Anthony & the Johnsons, le groupe déploie une soul vespérale influencée par le r&b et la house et irradiée par les vocalises sensibles de Lewis Wade, chanteur acrobate. Présentations.
Comment vous êtes-vous rencontrés et quand avez-vous commencé à composer?
Jesse : Sean et moi étions ensemble à la Fac et nous avons été présentés à Lewis par un ami commun. Nous avons commencé à écrire nos morceaux à ce moment-là. C’était il y a deux ans, mais c’est vraiment le fait de devenir un groupe qui a donné l’impulsion au projet.
Vous coécrivez tous vos titres.
Lewis : On écrit tout à trois. Chacun apporte une idée et les choses se construisent petit à petit. Nous avons tous un rôle spécifique dans l’élaboration des chansons mais on est tous impliqués au final.
Sean : On s’inspire mutuellement beaucoup. Je suis plus directement rattaché à l’aspect production, aux rythmiques, Jesse propose souvent les accords et va s’atteler à la structure et aux textes, et Lewis bien sûr apporte beaucoup aux mélodies avec son chant.
Vos visuels sont très minimalistes, avec une esthétique presque cold-wave, là où votre musique est très soul. Comment expliquez-vous ce décalage ?
Jesse : En fait notre musique est assez épurée, pour nous il fallait donc que les visuels le soient aussi. Quand on écrit, on essaye de se débarrasser du superflu pour ne garder que l’essentiel, le cœur de la chanson. Pour notre graphisme et nos photos de presse, ou bien même la façon dont on s’habille, souvent tout en noir, il fallait trouver ce qui correspond le mieux à notre musique. Nous sommes très perfectionnistes, nous n’aimerions pas que notre esthétique soit rattachée à un courant ou une mode, que nos visuels ne nous plaisent plus quelque mois plus tard. On a donc opté pour une certaine épure.
J’ai lu le terme ‘minimal soul’ employé pour décrire votre musique.
Jesse : Quelqu’un a utilisé cette expression en effet. Ce n’est pas notre profession de foi, mais finalement c’est assez juste. Nous ne voulons pas figer les choses, on ne cherche pas à tout prix à ‘trouver notre son’. A ce stade, nous n’avons publié qu’un EP de quatre morceaux. C’est comme un Polaroïd qu’on aurait pris à un moment précis, mais depuis et pour la suite nous voulons continuer à expérimenter.
Vous avez travaillé avec le producteur canadien Illangelo, connu pour sa collaboration avec The Weeknd. Comment s’est faite la rencontre ?
Sean : Illangelo est un producteur fantastique, un musicien incroyable. Il a très vite compris notre son. Quand nous avons terminé le EP, nous avons réfléchi avec Modular à quelle personne solliciter pour apporter une touche finale aux morceaux. On a très vite pensé à lui et il a aimé ce que nous lui avons envoyé. On a ensuite bossé environ un mois à distance, sur Skype et par email, en s’adaptant au décalage horaire entre le Canada et l’Australie ! Comme nous écrivons tous les trois, c’est parfois difficile de laisser une personne extérieure s’immiscer, intervenir sur ce que nous avons créé. Nos chansons sont très intimes. Mais ce fut pour le mieux ; il s’est vraiment mis au service des compos.
Jesse : Illangelo apporte beaucoup d’attention aux détails, il est très minutieux. Il respecte la compo originelle mais il parvient à mettre en relief certains aspects. Il a beaucoup travaillé autour de la voix de Lewis notamment.
On sent aussi l’influence de son dub-step dans votre musique, des artistes comme James Blake ou SBTRKT par exemple.
Jesse : Ce sont deux artistes fantastiques. Ils sont honnêtes, intègres et c’est quelque chose qu’on admire, qui est fondamental. C’est vrai qu’on a toujours tendance à nous comparer à d’autres groupes, c’est dû au fait que nous commençons notre carrière et c’est un honneur d’être affiliés à ceux que tu viens de citer, mais en même temps on aimerait ne pas être mis dans une catégorie musicale particulière. On veut suivre notre chemin, trouver notre voix.
Vous n’apparaissez pas dans vos clips, est-ce un choix délibéré ?
Sean : A ce stade oui. Mais on va très certainement apparaître plus tard, au bon moment. L’album qu’on est en train d’écrire est une réflexion sur ce que nous sommes, tout est encore en gestation.
Jesse : On préférait solliciter des réalisateurs dont on aimait l’univers et qui pourraient apporter des idées fortes, comme Dave Ma et Fleur & Manu, qui ont réalisé nos deux clips. Nous ne souhaitions pas apparaître, mais avant tout trouver des concepts visuels forts qui nous correspondent.
Jesse, Sean, vous avez tous les deux suivi des cours de cinéma, l’image est donc très importante pour vous?
Sean : Notre musique est très visuelle, l’imaginaire des collaborateurs était donc primordial. On souhaitait laisser une grande part de liberté aux réals, les voir s’approprier la musique et l’intégrer à leur univers. On a pas mal échangé avec eux, mais comme ce sont des artistes très talentueux, avec une longue histoire dans le clip déjà, il fallait leur laisser de l’espace.
La vidéo de Fleur de Manu pour la chanson « Ivory » n’est d’ailleurs visible que sur Viméo.
Jesse : Elle n’a pas été acceptée par Youtube, car jugée trop ‘choquante’. Mais c’est pas plus mal, elle est un peu planquée, c’est plutôt cool.
A l’inverse, on trouve sur le net une session live enregistrée au National Art School’s Cell Block Theatre de Sydney.
Sean : Nous voulions tourner des images live pour montrer qui nous sommes sur scène, de la façon la plus sobre possible, tout en restant attentif à la forme – d’où le choix du lieu, une ancienne prison que nous aimons beaucoup -. On a chanté les morceaux 10 à 12 fois de suite et garder la meilleure prise pour chacun d’entre eux, entre nous, sans public.
Lewis tu chantes souvent avec deux micros, peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Le premier micro est tout simple, c’est le plus souvent pour la voix lead, la mélodie principale. L’autre micro passe par un pad d’effets, avec pas mal de reverbes, ça apporte beaucoup de textures à la voix. Je m’en sers surtout pour les harmonies. Il permet davantage de nuances.
Comment avez-vous rencontré le label Modular ?
Jesse : Nous avons envoyé une démo à une radio locale qui l’a jouée un soir. Le patron de Modular Steve Pavlovic était en train de rentrer chez lui, il conduisait quand il a entendu cette chanson et nous a envoyé un mail le lendemain, nous étions très excités! Ce label à une réputation incroyable en Australie, nous avions toujours rêvé de signer avec eux.
Sean : C’était complètement fou. Un mois plus tard on se retrouvait à la fête de noël du label avec tous les artistes qu’on admire. On venait de débarquer dans cette grande famille et on buvait des cocktails avec Tame Impala ! Depuis tout le monde est très occupé par son propre projet, on ne se voit finalement pas tant que ça. Même quand on est sur la même affiche d’un festival, on ne fait que se croiser. Mais on se retrouve pour chaque fête de noël donc !
Vous avez joué en première partie de Banks, Solange, Darkside et même Thom Yorke ?
Sean : On devait aussi faire la première Twin Shadow aux US mais ça a finalement été annulé. Pour Thom Yorke, c’était un peu différent, juste un Dj set, alors que nous ne sommes pas du tout Dj. Nous étions super impressionnés, d’autant qu’on n’est vraiment pas bons derrière les platines!
Jesse : Sean est désormais préposé aux Djs sets, même si nous n’en faisons pas beaucoup. Le dernier en date, c’était à Paris, sur la piste il y avait Gaspard de Justice, c’était assez embarrassant d’être devant un artiste aussi talentueux et vraiment Dj de profession… Heureusement notre set était très tard, il n’y avait déjà plus grand monde.
Quand va sortir votre album ? L’accueil autour du EP induit-il une certaine pression?
Sean : Nous écrivons beaucoup, continuellement même, mais nous ne sommes pas pressés. On souhaite que le résultat final soit celui qu’on a en tête. Les chansons sont toutes écrites et pour la plupart enregistrées mais nous portons beaucoup d’attention aux détails. On évite de se mettre la pression, même si on est conscients qu’il y a une attente. On veut juste faire ce qu’on aime, ce qui nous semble juste pour Movement. L’album devrait paraître au printemps.
Jesse : Quand on a sorti notre Ep, nous n’avions pas vraiment de stratégie, c’était tout ce que nous avions à publier alors. On était bien sûr très flattés par l’accueil que les chansons ont reçu. Mais le format long, c’est ce qui va véritablement nous faire connaître. La pression est donc surtout artistique, qualitative.
Si Movement devait boycotter quelque chose actuellement, ce serait quoi ?
Lewis : Moi je sais exactement ce que je souhaite boycotter ! L’industrie alimentaire, le commerce de la viande.
Sean : D’accord avec toi. Je boycotterai la production animalière de masse.
Jesse : Moi je crois que vais boycotter mes deux compères et rentrer en Australie (rires).
Interview Philippe Laugier
Photography Jerome Lobato