Photographie Hervé Lassïnce
Styliste Simon Pylyser
Interview Philippe Laugier
Pantalons Kenzo. T-shirts & sweat shirt American Apparel.
Willi Dorner est un artiste chorégraphe autrichien dont le travail tourne essentiellement autour du corps et de l’urbanisme, en investissant le cœur des capitales avec ses danseurs notamment, lors de performances éclair. Les corps qu’il enchevêtre forment ainsi des sculptures éphémères qui amusent autant qu’elles interrogent sur notre place dans la société. Son projet “We are the city” a ouvert le Festival de Marseille le 14 Juin dernier. Salut C’est Cool est un groupe de techno français qui s’exprime dans la langue de Molière sur fond de hardcore aux accents baroques, pas si éloigné d’une certaine vision de la musique de chambre : celle d’un ado surexcité qui lirait du René Char éclairé au stroboscope en rentrant d’une rave party. Jouissif, naïf et festif mais aussi référencé, Salut c’est cool est le groupe qui tournera le plus cet été dans les festivals en France. Willi Dorner et sa troupe, et le combo de joyeux teuffeurs Salut c’est cool ont en commun une autodérision, un sens de l’observation, de l’absurde, une candeur et une imagerie haute en couleurs qui nous a donné envie de les faire se rencontrer. Conversation et exercices de souplesse entre Willi Dorner, James et Martin – deux membres du groupe – avant quelques contorsions sur fond de BPM survoltés.
Willi, en observant ton travail, on trouve pas mal d’éléments communs avec l’esthétique du groupe Salut c’est cool ; un univers enfantin et coloré, une certaine naïveté et un grand sens de l’humour. Qu’as-tu pensé en les découvrant ? J’ai trouvé leur approche ludique, fraiche, énergisante et avant tout surprenante. Même si je ne suis pas complètement familier de la musique techno. D’ailleurs pourquoi avez vous choisi ce genre musical en particulier pour vous exprimer ?
Martin : On estime que la techno est la meilleure musique pour danser et s’amuser avant tout. C’est une célébration. Quand nous avons commencé à composer, nous avions en tête la notion de fête dès le départ. Et nous aimons le son de cette musique ; on en écoute tout le temps, c’est très addictif.
James : La techno provoque une transe, c’est une cérémonie tribale, un état que l’on recherche. Willi : Je pensais que c’était un genre peut-être un peu galvaudé, moins populaire qu’il n’a pu l’être dans les années 90 ?
Martin : Ce sont des cycles, les choses finissent toujours par revenir. C’est aussi une musique facile à produire. Nous n’avons pas de formation musicale mais avec un simple software, on peut de manière intuitive composer de la techno ; on commence par le kick, on ajoute une ligne de basse etc..
Salut C’est Cool, qu’avez-vous pensé du travail de Willi pour votre part ?
James : Avant de convenir de la séance photo d’aujourd’hui, nous ne connaissions pas ton travail Willi. Mais on a trouvé super fun et pertinente l’idée de cette collaboration, notamment en voyant tes travaux autour de la danse et de l’expression corporelle. On a aimé ta façon d’amener ce type de performances dans la rue, en les sortant de leur contexte institutionnel habituel. C’est aussi quelque chose qu’on fait souvent : des paroles parlées en français sur de la techno par exemple, c’est assez inédit. On a aimé également cette façon de t’approprier des décors qu’on ne penserait pas à exploiter en temps normal. Des choses tellement communes qu’elles sont devenues presque invisibles mais que toi tu décides d’utiliser dans ton travail.
Willi : Nous essayons avec ma troupe de dépasser certaines limites, les régulations de la ville notamment. Les gens ne le perçoivent pas forcément, mais on se met souvent en position de danger, de conflit – avec la police en particulier -. Nous utilisons des décors publics mais aussi privés, on est donc toujours un peu dans l’illégalité. Pourtant, nous faisons toujours les démarches pour avoir les autorisations de rigueur, mais nos demandes restent souvent lettres mortes, donc on assume ensuite la prise de risque.
James : Ton travail questionne aussi beaucoup nos comportements, ces règles non dites qui gèrent nos actions. Est-ce que tu vas dans la rue juste pour marcher ou bien dans un magasin simplement pour acheter quelque chose ? On peut s’amuser à déjouer ces règles.
Willi, ces performances sauvages sans accord des pouvoirs publiques se rapprochent un peu du graffiti non ?
C’est une bonne comparaison en effet. Je dis souvent que je fais du graffiti à partir de corps humains. On ne laisse pas de traces derrière nous, mais les tags restent dans l’esprit des gens, cela devient un souvenir.
Dans vos concerts, James, Martin, il y a toujours un moment où le public envahit
la scène, ou bien c’est vous qui descendez dans la foule. Est-ce une façon de détruire la hiérarchie habituelle performers / spectateurs ?
Martin : Absolument, c’est dans le même esprit de fête que nous évoquions tout à l’heure.
On ne veut pas être les MCs de la soirée, même si c’est un peu le cas d’une certaine manière. On aime l’idée d’intégrer et de responsabiliser le public qui vient nous voir. C’est aussi une forme de transgression des limites ; on ne voit pas pourquoi il y aurait une séparation entre les gens et nous.
James : C’est un peu la même chose pour nos vidéos. Notre technique de tournage est rudimentaire, on utilise des caméras très basiques, sans lumières additionnelles. On veille à ce que nos clips ne soient pas trop sophistiqués. Là encore, c’est pour éviter de créer une trop grande distance avec le spectateur. C’est cool s’il s’identifie et se dit qu’il peut faire la même chose, à sa façon.
Willi tu utilises aussi la vidéo ?
J’ai déjà intégré le film à mon travail scénique. Je suis également en train de réaliser un court-métrage. Il commence en animation, puis les corps deviennent réels au fur et à mesure et finissent par se mouvoir comme dans un jeu vidéo. Là encore, le sujet est l’unification du mouvement. J’aime collaborer avec des vidéastes ou réalisateurs : comment véhiculerais-tu mon message dans ton domaine ? C’est toujours très intéressant.
Tu as également chorégraphié une marche dans les rues de Liverpool et de Marseille, ou encore proposé un audio guide pour un musée de Vienne.
Ma troupe tourne parfois sans moi, ce qui me permet de me consacrer à d’autres activités et j’ai besoin de m’exprimer à travers plusieurs médias. J’ai travaillé sur un ballet pour le State Opera House de Vienne, j’ai moi-même dansé sur scène. En ce moment, je planche sur une nouvelle série de photos et recherche de nouveaux concepts.
Tes danseurs portent toujours des tenues colorées et des cagoules.
Leur tenue sert à créer un contraste avec le bitume, la grisaille urbaine, et cacher les visages est une bonne façon de rester complètement anonyme. Comme nous tous d’ailleurs ; nous sommes des corps anonymes dans le paysage urbain. Cela rejoint la vision du philosophe Michel de Certeau ; les structures sociales s’évanouissent peu à peu, nous ne sommes plus que les membres d’un grand tout.
Ton travail, focalisé sur le langage corporel, se déploie quasiment toujours dans un contexte urbain.
Nous devons nous intégrer à un environnement. Un des messages de mon travail est de réfléchir à cette intégration justement : décider comment on agence son appartement par exemple. On doit avoir une vraie réflexion sur ce qui nous entoure au quotidien. Ma trilogie “Bodies in Urban Spaces” exprime le rapport du corps avec l’architecture, les objets et même les constructions. Une des récentes performances que j’ai effectuée avec un architecte, a été de construire une maison idéale en bois, sur quatre étages. J’aime interroger la façon de s’approprier l’espace, la manière de se mouvoir, de s’imbriquer. Certains chemins sont tout tracés, pour autant on préfère souvent ceux de traverse.
James : C’est un peu pareil dans la musique ou les clips. Les gens ont tendance à reproduire des schémas classiques, ils n’essayent pas toujours de sortir des sentiers battus, d’affirmer leur individualité. Pour autant, on ne peut pas réduire l’individu à la masse ; même s’il effectue le même trajet que tout le monde au finish, il pense parfois différemment en son for intérieur. Se comporter comme les autres n’implique pas qu’on pense forcément comme eux.
James, Martin, vous utilisez souvent des objets du quotidien lors de vos concerts ; coussins, “Tancarville”, fleurs… Ou même de la nourriture. Est-ce que vous appréhendez le live comme une sorte de performance ?
Martin : Nous aimons utiliser ce qui nous entoure. Au départ, on se contentait de jouer. Puis dans les backstages, il y a souvent des bonbons, des corbeilles de fruits ou autre. Un jour, nous avons décidé de les partager avec le public. À partir de ce moment-là, on a souhaité que nos concerts proposent toujours un peu plus que simplement de la musique, d’autant qu’on ne joue aucun instrument sur scène ; on appuie sur play, on danse et on chante dans des micros, presque comme un karaoké. On trouvait cette formule trop limitée. On a donc intégré des objets pour s’amuser, et ce, de plus en plus souvent.
James : On recherche des articles disponibles en grande quantité à un moindre prix, afin de pouvoir servir tout le monde dans la salle. Il y a un magasin de fournitures pour restaurants à côté de chez moi, j’ai pu y acheter 1000 boîtes de kebab pour quelques dizaines d’euros par exemple. C’est devenu depuis systématique ; on cherche à ce que chaque concert soit différent, ça nous permet de nous diversifier, et au public de ne pas voir deux fois la même chose.
La techno est une forme de dance music, qui parle d’abord au corps. Est-ce un aspect important dans votre approche ?
Martin : Faire danser est la fonction première de cette musique, même si nous écrivons aussi des morceaux plus posés. On ne compose pas uniquement dans cette optique pour autant, ce n’est pas notre seule préoccupation. Mais l’expression corporelle est primordiale dans notre travail.
James : Elle l’est aussi dans notre façon de composer. On danse souvent derrière nos ordis, en secouant la souris par exemple (rires).
Vous êtes influencés par le gabber de Lenny Dee ou du label Bonzaï records, mais aussi par Marcel Duchamp ou le réalisateur Alain Cavalier. Vous avez d’ailleurs tous suivis des cours en écoles d’art ou de cinéma au sein du groupe. Comment intégrez-vous ces différentes sources d’inspiration ?
James : Peut-être que tous ces univers se télescopent les uns avec les autres pendant notre sommeil ! C’est le travail du cerveau à notre dépend (rires). On voit beaucoup de choses, on s’en imprègne de façon souvent inconsciente et puis, elles ressortent lorsqu’on est dans une phase de création.
Martin : C’est aussi dû au fait que nous sommes quatre, avec nos influences respectives. Si l’un d’entre nous apporte une musique, un autre va avoir une idée de texte ou de clip etc.. C’est très démocratique. Il y a une continuité dans notre approche ; le morceau, la vidéo, la façon de l’interpréter en live… jusqu’à notre site internet. Tout doit se répondre et être cohérent, parfait pour nous (et non parfait en soi).
Vous publiez un nouvel album, pouvez-vous nous expliquer son titre, Sur le thème des grandes découvertes.
Martin : C’est quelque chose dont on parlait souvent pendant l’écriture du disque, l’idée d’exploration. Nous aimons inspecter les recoins, des domaines auxquels on ne penserait pas spontanément. En partant du postulat que tout pourrait potentiellement être une grande découverte, par exemple le contact de cette cuillère avec ce plat… On ne fait pas référence aux grandes explorations façon Christophe Colomb, on essaye plutôt de chercher une autre signification aux objets du quotidien, toutes ces choses qui nous semblent normales de prime abord. Le sol de cette pièce peut-être une découverte, un nouveau beat techno également… C’est déclinable à l’infini. Il y a une chanson sur l’album qui s’intitule ‘Renaissance’. Davantage que l’histoire de l’art, il s’agit ici plutôt de repenser les choses, de se remettre en question : voir ce qui nous entoure sous un nouveau jour.
Willi : Un peu comme chez le philosophe Xavier de Maistre, qui a écrit Voyage autour de ma chambre. A l’inverse des grands voyageurs de son temps comme Thomas Cook, il proposait de partir en expédition dans son salon ou sa cuisine (rires). C’est une façon de redécouvrir le quotidien.
Willi, tu as enseigné l’Alexander Technique, une méthode pyscho-corporelle, de quoi s’agit-il ?
C’est un travail avec les mains, basé autour de la position assise, une méthode pour améliorer tes mouvements, ta respiration, la circulation de l’oxygène. Trouver un bon équilibre musculaire.
Martin : J’en aurais bien besoin. On a récemment compris l’importance de la chaise sur laquelle nous composons en studio (rires) ! Du positionnement des speakers, du micro, ce genre de chose… Un minimum de confort quoi.
James : On commence seulement à réaliser que nos corps sont fragiles…
Willi, quelle serait la bande-son parfaite pour illustrer ton travail ?
De la musique classique ou abstraite. Ou bien même le silence. La musique permet de rassembler les passants lors de nos performances, mais le silence peut aussi remplir ce rôle et intrigue peut-être encore davantage. Je n’ai encore jamais utilisé de techno. Il ne faut jamais dire jamais n’est-ce pas ? (rires)